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Funky !

jeudi 17 juillet 2008, par Valentin.

Un petit survol de la musique funk ; pour mieux comprendre cet article il est préférable d’avoir un lecteur Flash installé sur votre ordinateur, pour lire les extraits audio.

Bonjour à tous,

Voici un article que j’ai mis des mois à écrire. Pourquoi ? Parce que, et ça m’ennuie de le reconnaître, j’avais envie de vous parler de quelque chose auquel je ne connais rien de rien : le funk.

Donc voilà ce que je vous propose : on va écouter quelques chansons ensemble, et on en discute (les forums sont ouverts, au passage)1.

 Michael Jackson : Billie Jean (1982)

Ma vie est passionnante, épisode un : je faisais les courses au Franprix d’à côté l’autre jour, et je suis tombé sur cette chanson. Une parfaite introduction pour mon article ; je me suis donné beaucoup de mal à l’identifier, et j’ai découvert qu’elle était dûe au chanteur le plus repoussant du monde.

C’est parti2.

Écoutez, dès les premières secondes, cette rythmique binaire extrêmement reconnaissable. La mesure est à quatre temps, et la batterie (boîte à rythme) donne un coup de caisse claire sur les deuxième et quatrième temps (ce que l’on appelle traditionnellement les « temps faibles »).

On peut résumer la rythmique comme cela :

    1          2          3          4    
    |          |          |          |    
  POUM      <TCHAK>     POUM      <TCHAK> 

Et c’est là qu’intervient la première surprise : dans quelle musique connaissons-nous ce type de rythmique binaire, inébranlable, pas trop lente mais pas trop speed non plus ? Allez, souvenez-vous du défilé du 14-Juillet, et sifflotez la Marseillaise... C’est exactement le même mouvement, le même tempo.

Autrement dit, le Funk est... une marche.

Eeh oui. Ce qui nous donne, d’ailleurs, un indice sur la manière de le danser : on va faire des petits pas (on dit step en anglais, ça fait plus classe), en prenant justement appui sur la rythmique.

La grande différence, c’est que dans une marche les temps forts (le 1 et le 3) sont traditionnellement accentués, alors que le funk adopte des appuis à contretemps (le 2 et le 4) visiblement dérivés du Jazz.

D’accord, je pourrais passer des heures à parler de cette chanson. Écoutez bien la basse, par exemple : vous remarquerez qu’elle « tourne en boucle » (en anglais : loop) toujours sur le même motif, que nous appellerons un riff.

Écoutez aussi ces petites interventions de violons (garantis synthétiques) qui ponctuent la fin de certaines phrases : nous avons là tous les éléments qui me paraissent définir la musique funk. Bref, un classique.

 KC and The Sunshine Band : That’s the Way I Like It (1975)

Ma vie est passionnante, épisode deux : voici une chanson que j’ai découvert dans la série Scrubs (saison 2). Je ne sais pas pour vous, mais quand je marche dans la rue et que je pense à cette chanson j’ai beaucoup de mal à ne pas me la péter en chantant « That’s the way uh huh uh huh I like it » et en faisant des gestes avec les bras...

Nous revenons quelques années en arrière pour retracer quelque peu l’histoire du funk, avec le groupe de H.W. Casey (que vous pouvez aussi appeler KC), et son tube indiscutable That’s the Way I Like It.

Nous retrouvons cette rythmique très reconnaissable poum/tchak/poum/tchak, mais dans une ambiance sensiblement différente. Ce qui frappe surtout ici, c’est la richesse de l’instrumentation : pas de violons ici, mais une section cuivres fournie et très présente, ainsi que plusieurs guitares3. On a aussi, comme dans la chanson précédente, une organisation des voix très hiérarchisée (et macho), entre le soliste et les voix de femmes.

J’en profite pour glisser quelques mots d’histoire. Le funk est né aux États-Unis dans les années 60 (soit à peu près dix ans avant cette chanson) ; une époque particulièrement intéressante puisqu’il s’agit de la première génération d’après la Seconde Guerre Mondiale. Des jeunes « nés dans les années 50 » pleins d’énergie, plein d’ambitions, le tout dans un contexte qui permet d’envisager l’avenir de façon optimiste (l’économie va bien, très peu de chômage, le niveau de vie et de technologie augmente à une vitesse jamais vue).

Cette époque est donc, d’un point de vue artistique, une période où l’on a le sentiment qu’on peut tout faire, tout essayer (c’est aussi les prémisses du mouvement hippie).

Dans ce cadre, le funk se présente comme un syncrétisme, au confluent de plusieurs influences musicales et culturelles :

  • le jazz (et pas n’importe quel jazz, j’y reviens dans un instant), qui est avant tout une musique instrumentale ;
  • le blues, la soul (et par extension le premier rock, des années 50), qui sont des musiques vocales par essence ;
  • et la musique pop, (dérivée du rock) qui naît en même temps que le funk et se définit comme une musique de danse. Cette musique dérivera également vers le disco.

D’ailleurs, qu’est-ce qui distingue le funk du disco ? Pas grand chose, j’ai l’impression, et cette chanson du KC Band pourrait être aussi bien classée dans l’une ou l’autre catégorie. À vue de nez, je dirais que le disco n’est pas véritablement un genre à part entière, mais qu’il inclut simplement les différentes musiques jouées en discothèque à la fin des années 70. Cela comprend du funk, de la pop, mais aussi d’autres genres.

Nous avons vu que la rythmique funk est largement dérivée du Jazz, et de son goût pour les contretemps. En fait, le Jazz lui-même, dans les années 60, est en pleine mutation : de nombreux musiciens tels que John Coltrane, Jaco Pastorius ou Herbie Hancock vont exercer une influence considérable, non seulement sur l’évolution du Jazz lui-même mais également sur les autres langages musicaux populaires (le reggae, le rock, le funk,...).

Prenons un exemple harmonique simple : vous savez peut-être que le Jazz aime bien enrichir les accords, en les transformant en un empilement de de tierces :

Construction d’un accord enrichi

Dans la chanson That’s the Way I like it, je vous invite à écouter attentivement le tout premier motif, au choeur et aux cuivres (il est répété un paquet de fois, vous allez comprendre pourquoi) :

That’s the Way — motif d’intro

Comme vous pouvez le voir, il est construit sur un accord de fa mineur, enrichi par des tierces multiples : non seulement la septième, mais même la neuvième et la onzième. Cette démarche d’enrichissement des accord, typiquement Jazz à l’origine, va devenir l’un des traits marquants du funk.

 Jamiroquai : Canned Heat (1999)

Ma vie est passionnante, épisode trois : le sport favori de mon petit frère a toujours été de trouver tous les moyens possibles pour de distinguer de son grand frère.

D’abord, il est blond. Ensuite, il est ingénieur.

Mais il y a une dizaine d’années, le meilleur moyen était encore la musique. À longueur de journée, il écoutait les disques à la mode, que j’entendais à travers la cloison de ma chambre et bien malgré moi. C’est ainsi que j’ai découvert, notamment, le groupe Jamiroquai.

L’autre jour, une voiture qui passait dans la rue — avec la musique à fond genre agade-comme-je-me-la-pète-grave4 — m’a fait repenser à cette époque ; j’ai passé un temps considérable à retrouver le titre de cette chanson, et la voici.

Si vous avez lu tout ce qui précède, vous êtes en terrain connu. Tout y est : la rythmique, les riffs, la guitare slap, les enrichissements harmoniques — regardez à ce titre les accords de neuvième du tout début :

Canned heat — introduction

Mais ce qui frappe dans cette chanson, c’est l’utilisation des violons. Vous vous souvenez peut-être de la chanson de Michael Jackson : ici, les violons (de vrais violons, pas synthétiques) tiennent une place bien plus importante, autant mélodique et harmonique que... rythmique : écoutez comme les archets mordent la corde sur les aigus, quand les paroles disent « Dance » !

Nous sommes dans les années 90, le funky est toujours bien vivant, et prend même une envergure... hollywoodienne.

Pour vous en convaincre, regardez donc ce fragment de la partie de violons, dans la chanson de Jamiroquai (à peu près aux deux tiers) :

Canned Heat — motif de violons

J’ai indiqué par des traits obliques les intervalles larges, qui sont une caractéristique de l’écriture des violons dans le cinéma américain depuis les années 40 (vous en trouverez des exemples dans toutes les « scènes du baiser »). Mais il y a mieux : regardez aussi l’enchaînement de ces deux accords (ce que j’appelle un « balancement »), mi majeur (enrichi) et la mineur (enrichi aussi).

Maintenant, regardez cet extrait de la musique de Stargate (1994) :

Stargate — thème principal

Et j’enfonce le clou, avec cet autre extrait de la musique de Indiana Jones (Raiders of the Lost Ark, 1981) :

Indiana Jones — Thème de Marion

Il y a aussi un autre exemple dans La Momie, extrêmement proche de la chanson de Jamiroquai, mais je vous laisserai l’imaginer.

 Bee Gees & Feist : Inside and Out (1979 — 2004)

Ma vie est passionnante épisode quatre : je ne pouvais pas terminer cet article sans mentionner cette petite curiosité que m’a fait découvrir Edwige : la chanson des Bee Gees « Loves you Inside and Out », un grand classique de la scène funk/disco des années 80, et surtout la reprise qu’en a fait récemment la chanteuse canadienne Feist.

Concernant la version originale, rien de très particulier à signaler, à part les voix de fausset des Bee Gees ; notez également les premiers accords, sur un mode pentatonique aux harmonies pseudo-orientales, très à la mode au début des années 80 (on peut en entendre de nombreux exemples dans la bande son de l’excellentissime jeu vidéo GTA Vice City).

La reprise de 2004 possède des caractéristiques étonnantes : on est à la fois dans le monde du funk, et dans un langage un peu particulier (un syncrétisme, là encore), très marqué par la variété (soi-disant) « indépendante » de ces dernières années. Écoutez notamment avec quelle économie de moyens les caractéristiques du funk sont suggérées : instruments acoustiques plutôt qu’amplifiés, percussions à main (bongo, djembe) plutôt qu’à baguette (caisse claire), etc. Notez également les harmonies très Jazz moderne, et la présence discrète de scratch.


Nous voici au terme de cette petite excursion dans la musique funk. J’espère que vous en aurez retiré quelques notions, quelques repères, ou au moins une vue d’ensemble.

À bientôt pour d’autres « découvertes », et bon été à tous !

Valentin.


Après la publication de cet article, mon frère (toujours lui) m’a proposé quelques additions, largement inspirées par la bande son de GTA Vice City :



[1Vous remarquerez peut-être que les nombreux articles de Wikipédia que je cite ne sont pas toujours du même avis que moi ; c’est que toutes ces questions sont après tout très subjectives, et que chacun est libre d’avoir une opinion différente.

[2Mode d’emploi du lecteur : un seul bouton play/pause, et une barre de progression que vous pouvez utiliser pour naviguer dans le morceau — ce qui peut vous être utile plus bas. La deuxième barre sur la droite correspond au volume.

[3En particulier cette guitare slap très reconnaissable — c’est notamment cet instrument qui joue le thème de James Bond.

[4Vous je ne sais pas, mais moi les voitures de péteux comme ça, ça ne me dérange pas tellement. Par contre je n’aime pas, mais pas du tout qu’on m’impose de la musique dans un lieu public, type restaurant ou supermarché. Les vrais gêneurs sont rarement là où on les attend.

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