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Et bonne santé

jeudi 14 janvier 2016

2016 : nouvelle année, nouvelle occasion de regarder le passé et faire le point. (Comme si j’avais besoin de prétextes pour cela : c’est déjà mon passe-temps préféré et obsessionnel.)

À ce titre, parcourir les petits éditoriaux que j’ai pu poster en page d’accueil de ce [Site] depuis plus de dix ans, donne l’impression de descendre dans un gouffre sombre et vertigineux. À l’origine, il ne s’agissait que d’« animer » le site, un peu comme le ferait un Gentil Organisateur® auprès d’un public un peu demeuré en vacances éternelles : signaler les nouveautés à ne pas manquer, les articles indémodables, solliciter l’avis du lectorat ; à mesure que j’ai fini par abandonner tout espoir de publier régulièrement de nouvelles choses, que la contemplation des courbes de fréquentation de mes écrits n’était plus qu’une source de morosité, et que s’est — définitivement ? — détaché mon masque souriant et promotionnel, le ton a changé : plus lucide, plus sombre, plus brutalement honnête et ne cherchant plus à déguiser son introspectivité narcissique. Plus... moi.

Le monde extérieur, il faut dire, ne m’y aide guère. Si l’on pouvait raisonnablement se dire, il y a une quinzaine d’années, que le progrès était en marche et que les nations « civilisées » allaient se donner bien gentiment la main pour aider à construire un avenir meilleur, la période suivante a achevé de montrer combien toute illusion démocratique était d’ores et déjà broyée sous la stupidité, l’égoïsme et la violence de la grande machinerie capitaliste — encore un masque qui n’en finit plus de tomber. Combien peu de poids des valeurs belles, nobles et saines — Liberté, Égalité, Fraternité — pouvaient avoir en regard de la malhonnêteté industrialisée, de la propagande éhontée et des campagnes d’abêtissement délibéré du peuple. (L’on voudra bien m’excuser d’en rester à des propos généraux dépourvus d’exemples précis : nous sommes en France en 2016, il suffira de se livrer à un survol hâtif de n’importe quel organe de presse récent — excepté peut-être Mickey, Pif Gadget n’ayant manifestement pas envie de revenir cette année.)

Alors certes : cette rage, je ne suis pas seul à la connaître. Pas seul à me révolter contre le règne de l’arbitraire, de la corruption (fût-elle légalisée, la loi n’étant plus que l’instrument de domination des puissants) ; contre un système qui ne tire plus sa seule légitimité de l’acquiescement paresseux de masses attardées, claustrées sous une pile de phobies organisées, et dont on ne flatte que l’instinct le plus bas. Pas seul à ne plus être dupe un seul instant de l’immonde tas de conneries que l’on jette en pâture à la population, d’un geste méprisant, pour qu’elle garde son rôle de bête de somme et de consommateur-sur-commande, et se tienne globalement tranquille avant de retourner valider, lors d’une future élection ou sondage pipé, le prochain pantin en charge du maintien du statu quo.

Pas seul à ronger mon frein en attendant que crève — le plutôt sera le mieux — la génération d’avortons poltrons et décérébrés qui tient « nos » sociétés sous sa coupe ; en espérant que pourra se réduire un jour, malgré la (comparativement) faible espérance de vie des classes dominées, cet outrageux décalage de plus de vingt ans entre la moyenne d’âge de la population française et celle de son corps électoral (à laquelle il faut ajouter encore dix ou quinze ans de plus pour atteindre celle de « nos » gouvernants). Très franchement : qu’ils disparaissent. Peu importe comment.

Pas seul, mais un peu plus seul depuis quelques jours, alors qu’un de mes anciens camarades de lutte, Denis Germain, est mort au matin du 31 décembre 2015. Pendant que nous autres continuons à vivre et à nous entre-congratuler à ce sujet, fût-ce au prix de devoir détourner le regard des injustices commises en notre nom, de la détresse des misérables rebuts du monde « civilisé », de la relégation sociale sur laquelle se construit « notre » bienheureuse ignorance. Pendant que nous continuons à attacher de grandes importances à de très petites choses, à aduler je ne sais quel nabot en vente libre, à rester précautionneusement dans un entre-soi tiédasse de classe médiocre.

Pendant que nous nous souhaitons en chœur, bonne année. Et bonne santé.

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